C’est avec beaucoup de plaisir que je vais sacrifier (les lecteurs de l’auteur dont nous allons parler ici comprendront) cet article à la chronique de Replay, l’autobiographie de David Didelot. En tant que grand amateur de cinéma bis, j’attendais avec impatience la sortie de la bête. Si vous vous demandez pourquoi, c’est probablement que vous ne connaissez pas l’auteur. Je m’en vais donc de ce pas réparer l’erreur, non pas en résumant la biographie du bonhomme (vous n’avez qu’à acheter le livre), mais en vous disant ce que représente David Didelot pour moi.
Donc, jusqu’à l’été 2014, David demeurait pour moi un parfait inconnu, mais le numéro 9 du magazine Métaluna, (hélas le dernier) allait changer cela au détour d’un article sacrifié (eh eh) au livre que David venait de sortir, dédié à la défunte collection Gore (parue chez Fleuve noir dans les années 80 jusqu’aux débuts des 90). Et là, ce fut pour moins l’équivalent d’un séisme dont les répliques se répercutent encore aujourd’hui sur mon existence. Les illustrations qui agrémentaient l’article réveillèrent immédiatement quelques souvenirs profondément enfouis dans mon inconscient. De vagues images revinrent par flash de ma mère m’emmenant en course et de ces couvertures aux couleurs criardes avec ce logo en lettres dégoulinantes de sang qui dénotait au milieu d’ouvrages plus politiquement corrects. Ces petits livres avaient alors attiré l’attention de l’enfant que j’étais et qui nourrissait déjà une certaine fascination pour la violence et la nudité graphique. Ces couvertures aguicheuses ne pouvaient donc qu’attiser ma curiosité tant elles présentaient leur lot de monstres, sévices et femmes dénudées… à l’époque, je devais avoir 6 ou 7 ans tout au plus et bien sûr ma mère s’arrangeait pour ne pas que j’approche trop près de ces « dangereuses », mais envoûtantes lectures et comme beaucoup d’autres bambins, je commençais ma carrière de lecteur par une prose plus édulcorée : la bibliothèque verte. Fin de l’affaire… jusqu’à ce putain d’été 2014 et ce béni numéro de Métaluna qui allait changer ma vie (si si, je n’exagère pas). Ma décision était prise, il fallait que j’acquière immédiatement quelques numéros de la collection gore histoire de guérir cette frustration et de réparer l’infâme injustice qui m’avait fait naître quelques années trop tard et passer à côté de la collection Gore. Donc, je ne sais plus trop dans quel ordre cela s’est fait, mais j’ai rapidement commandé le bouquin de David et les titres les plus emblématiques de la collection comme Blood-sex de Necrorian ou l’écho des suppliciés de Joël Houssin. Et là, ce fut la claque, le kiff intégral… ma vie prenait enfin un sens. D’accord, j’en fais un peu trop je vous le concède, mais tout de même moins que vous ne le pensez, car ce fut pour moi une révolution, un concentré de bonheur subversif… et une aide précieuse dans ce putain d’été 2014 qui fût le pire de ma vie. À ce moment, j’avais l’impression que ma famille et moi avions la tête enserrée dans le carcan d’une guillotine… désolé pour ces propos énigmatiques, mais les gens qui me connaissent dans la vraie vie sauront à quel épisode je fais référence. En tout cas, la collection gore et des shoots quotidiens de cinéma bis italien m’ont permis de supporter l’épreuve et d’attendre que nous puissions dégager la tête du couperet même si l’ombre de celui-ci planera encore pendant plusieurs mois et même années. C’est cette double exposition au malheur et à la collection Gore qui m’a poussé à prendre la plume. Donc voilà, Metaluna, la collection Gore et M. Didelot ont contribué à me donner un nouveau départ dans la vie. Je nourris donc une sympathie particulière pour ce monsieur qui a d’ailleurs découvert la collection Gore dans la gare de Chalon-sur-Saône, ma ville d’origine… si ce n’est pas un signe ça !
Par la suite, j’appris que David éditait un fanzine nommé Vidéotopsie dont le concept de base était d’autopsier, de décortiquer un film par numéro. Caligula la véritable histoire, l’Antéchrist, Blue Holocaust pour citer ceux qui m’ont le plus marqué… donc j’ai commandé plusieurs numéros et en ait profité pour me procurer également quelques Médusa Fanzine, véritable Rolls Royce en la matière auprès de son compère Didier Lefèvre que je ne pouvais pas ne pas citer. Pour ceux qui l’ignorent, un fanzine, c’est une sorte de magazine fait par des passionnés pour des passionnés. Des gars qui y mettent leurs tripes, leur thune et leur sueur pour partager leur passion avec d’autres dingos du même style et à ce jeu-là, David Didelot a été un sacré boss. Je parle au passé, car pour des raisons bien compréhensibles, qu’ils exposent dans Replay, David a achevé la belle histoire de Vidéotopsie avec un superbe numéro 20. On compte également à son actif un super pavé sur le réalisateur italien Bruno Mattei qui orne fièrement mes étagères, mais que je n’ai pas encore trouvé le temps de lire. Et comme si cela ne suffisait pas, David possède sa chaine YouTube, certes peu fournie, mais quand même ! Il a également animé de nombreux bonus DVD et Bluray pour des éditeurs comme Artus Films (qui a publié ses livres sur la collection Gore et Bruno Mattei), Uncut Movies et d’autres que j’oublie.
Donc quand un vétéran du bis comme David écrit son autobiographie où il vous promet de partager en parallèle de ses joies et de ses peines ses amours cinématographiques, en tant que fan de ce cinéma, on ne peut que répondre à l’appel.
Allez, rentrons dans le vif du sujet. La couverture annonce la couleur, David est chez lui et ça va se passer à sa façon. Le style est proche de celui employé dans Vidéotopsie. Le ton est libre et David se montre plutôt franc du collier… il y a d’ailleurs de grandes chances pour qu’au détour d’un paragraphe ou d’une ligne, vous en preniez pour votre grade. Donc si vous êtes au hasard : anti-foot, friand de films bis consommés en mode nanar, fan de Tarantino ou bouffeur de curé… il est probable que vous deviez à un moment ou un autre serrer les dents. Pour ma part, je me suis un peu senti concerné par le passage sur les anti-foots, car je ne comprends effectivement rien aux scènes de liesses populaires et à l’engouement engendré par le ballon rond. Bon après, je ne fais pas de discrimination ciblée sur le foot puisque c’est l’ensemble des sports que je n’apprécie pas… à l’exception de ceux pour lesquels on n’a pas besoin d’un prétexte ou d’un ballon pour se taper dessus… Primitifs dites-vous ? Peut-être, mais on ne se refait pas. La lecture de Replay peut donc parfois s’avérer un peu douloureuse pour votre égo, mais en ces temps de politiquement correct, c’est plutôt pas mal de tomber sur un auteur qui ne caresse pas ses lecteurs dans le sens du poil et qui prend le risque de s’en mettre certains à dos donc bravo pour ce choix courageux et ce souci d’authenticité.
Dès le premier chapitre intitulé « La nostalgie n’est pas un crime », l’auteur nous avertit : le ton employé aura forcément des airs de « c’était quand même mieux avant ». En découle une certaine amertume, omniprésente tout au long de l’ouvrage. L’évocation des souvenirs heureux est ainsi régulièrement assombrie par une mise en parallèle avec un présent peu glorieux et un futur dans lequel l’auteur semble placer peu d’attente.
Les anecdotes s’enchaînent très vite et on regrettera peut-être que certains moments clés n’aient pas bénéficié de descriptions plus imagées ou de dialogue qui les auraient rendus plus vivants. On aurait également aimé plus ressentir l’atmosphère des salles de cinéma de l’époque, la couleur des sièges, les odeurs, des vidéoclubs, bref s’imprégner de l’ambiance et être vraiment transporté. Dommage, mais il est vrai que ce style de narration aurait conduit à un ouvrage beaucoup plus conséquent et Replay est déjà relativement dense. L’écriture c’est souvent faire des compromis donc ce choix de construction est après réflexion bien compréhensible…
Hormis ces petits bémols, le livre se lit très bien. Le style est toujours clair, agréable… jamais pompeux ou ennuyeux et on suit l’auteur avec plaisir dans ses découvertes cinématographiques, ses premiers contacts avec le cinéma d’horreur à travers les affiches, son attirance quasi obsessionnelle pour la saga Amityville (le livre et les premiers épisodes), son amour du hard rock auquel il restera majoritairement fidèle malgré un épisode d’infidélité Jacksonienne, ses kiffs mainstream comme Star Wars et Alien et sa folie complétiste Bruno Mattei. On l’accompagnera avec plaisir dans son entrée en fanzinat avec l’aventure Videotopsie dont il nous fait partager les coulisses et cette débrouillardise toute old school à coup de photocopieur et de collage… et en parallèle de cette cinéphilie, on partagera les souvenirs plus intimes de David : sa prise de conscience de la nature périssable du corps dès ses jeunes années, ses premiers émois amoureux, une traumatisante séance de spiritisme et un petit passage sataniste (qui seront ses seules incursions dans le monde de l’occulte), la rencontre avec sa femme et la naissance de son fils, sa déception du milieu enseignant (David est professeur de français. Il faut bien faire bouillir la marmite, car comme vous l’aurez probablement deviné, on ne vit évidemment pas du fanzinat même chichement).
Parmi les aspects les plus réjouissants de Replay, je ne résiste pas à l’envie de citer les souvenirs que j’ai en communs avec l’auteur, même si le plus souvent je les ai vécus en différé, car David est de presque de 10 ans mon aîné : la série Sandokan que j’ai pour ma part connue avec les rediffusions le dimanche après-midi chez ma grand-mère et qui a sans doute forgé mon goût pour les rebelles, l’attente quasi messianique du sacro-saint magnétoscope qui pour moi aussi à tarder à arriver dans le foyer familial, son côté junkies de la VHS que j’ai reproduit avec les CD, DVD et Blu-ray, son amour pour le Là-bas de Huysmans (un de mes livres de chevet), son visionnage biannuel de Suspiria (mon film favori), sa réhabilitation du deuxième épisode de Freddy que je pensais être seul à aimer tant j’ai entendu de critique négatives à son sujet, son désintérêt pour la méga HD de la mort qui tue sa grand-mère à coup de 2k, 4k…. Et même si je n’en ai pas fait mon métier, mon court passage par l’éducation nationale avec son lot de déception me rend le personnage terriblement sympathique…
Bref, c’est tous ces points communs qu’on peut avoir avec l’auteur qui font la force de Replay et qui donneront sans doute envie à beaucoup de lecteurs de regarder dans leur propre rétroviseur et d’appuyer sur cette fameuse touche Replay. À l’instar du personnage de la couverture, chacun pénètrera dans son antre idéal. Pour ma part, je m’introduirais dans ma boutique favorite vêtu d’un sweat à capuche qui, au lieu d’exhiber le faciès grimaçant d’Eddy, mascotte d’Iron Maiden arborera fièrement le W du Wu Tang. Des DVD de Bruce Lee, JCVD, Scarface, Braindead et autre Massacre à la tronçonneuse, Invasion des profanateurs, du giallo à la pelle rempliront les rayons. Les affiches d’Orange mécanique, d’Alien, Shining, Suspiria côtoieront les pochettes des vinyles de Power d’Ice T, Illmatic de Nas, Low End Theory de Tribe Called Quest, The Chronic de Dr Dre sur les murs tandis que des écrans géants diffuseront les combats Roufus-Kaman, Dekkers-Prestia, les prouesses techniques d’un Dany Bill, la virtuosité pieds-poings de Sébastien Farina, les coups de pieds spectaculaires d’un Christophe Pinna ou les clés de bras magiques de Royce Gracie dans les premiers UFC. Dans un tout autre registre, s’inviteront également sur les moniteurs Marlène Mourreau imitant Madonna sous forme d’un insert SM inexplicablement glissé au milieu d’une émission familial de Patrick Sébastien puis les pornos de Tabatha Cash, Julia Chanel, Draghixa et je repenserai à mes premières baises sur du Montell Jordan, mes classes de neige avec mes Strange lus à la dérobée sous les couvertures après l’extinction des feux, les moments où avec les copains nous imitions l’Agence tout risque, mes premières terreurs avec Les dents de la mer et Les griffes de la nuit, la solitude d’un studio étudiant baignant dans les brumes cannabiques accompagné des sons anxiogènes de Cypress Hill, mes étés « Gangsta » à St Mard de Vaux où je me la jouais Tupac avec mon bandana noué sur le front, une déchirante rupture amoureuse sinistre comme le Detroit du film 8 Mile avec notre rappeur peroxydé favori, mon chômage en réclusion avec les criminels d’Emerald City, mes gores pour me tenir chaud en ce putain d’été glacial de 2014… bref un tourbillon de souvenir qui m’emportera bien loin…
Voilà, j’ai dérapé et passer cette chronique à parler de moi, mais c’était tellement tentant… et puis le plus grand intérêt des livres, de la musique, des films (enfin selon moi) n’est-il pas une fois la lecture, l’écoute ou le visionnage terminée de laisser vagabonder notre propre esprit et créer à notre tour notre propre livre, musique ou film, bande-son ou album photos de de notre vie ? Et dans cet exercice Replay excelle… alors une dernière chose à dire ? …Rien à part l’écho de mon premier post sur Facebook à l’annonce des précommandes du livre… achetez-le bordel ! Parce que la nostalgie n’est définitivement pas un crime. Et ce sera mon dernier mot.